Qu’est-ce que l’affectio societatis ?
Si l’on remonte au droit Romain, Ulpien le mentionne pour la première fois dans un texte rapporté au Digeste de Justinien. L’affectio societatis serait « l’intention de société ».
La notion d’affectio societatis se rapporte donc au contrat de société et plus particulièrement aux conditions nécessaires pour constituer une société.
Nous définirons ce qu’est l’affectio societatis pour ensuite aborder les conséquences en cas de perte ou d’absence de l’affectio societatis. Nous terminerons cette étude par quelques exemples concrets.
Affectio societatis. Une formule latine loin s’en faut.
Rappelons qu’une société est avant toute chose un contrat et que ce contrat doit respecter comme tout contrat les conditions de validité suivantes : le consentement des parties c’est à dire des futurs associés, leur capacité de contracter et enfin un contenu licite et certain[1].
Aux règles générales du droit des contrats s’ajoutent les caractéristiques propres au contrat de société : un objet social, une raison d’être de la société, une pluralité d’associés[2], des apports, la participation des associés aux résultats de l’exploitation (et aux pertes), la durée de la société, le capital social, la dénomination sociale, le siège social, la nationalité de la société et enfin l’affection societatis.
L’affectio societatis est donc une des conditions nécessaire et indispensable pour que le contrat de société existe et soit valable. À défaut, la société peut être dissoute ou annulée (cf infra : 2. Conséquences de la perte ou de l’absence d’affection societatis).
Le code civil ne définit pas l’affectio societatis. S’il le mentionne implicitement dans son article 1832[3] en ce qui concerne les dispositions générales de la société, il n’en donne pas de définition précise.
C’est la jurisprudence qui a définit l’affectio societatis. Dans un arrêt de principe, La chambre commerciale de la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme une collaboration effective dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité[4].
On pourrait également définir la notion d’affectio societatis comme « l’intention de s’associer en vue d’une entreprise commune[5] » ou comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune[6]. »
Qu’il s’agisse de la chambre civile ou de la chambre commerciale de la Cour de cassation, l’affection societatis se rapporte à la volonté, l’intention d’agir ensemble sur le projet commun qu’est la société. C’est un élément psychologique de la validité du contrat de société.
[1]Article 1128 du code civil issu de l’Ord. no 2016-131 du 10 févr. 2016
[2] Cette règle ne s’applique pas aux sociétés qui sont valablement constituées avec un seul associé.
[3] Article 1832 du code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »
[4] Cass. com. 3 juin 1986 n° 85-12.118, Epoux Roth c/ Reynaud
[5] Civ. 1ère 20 janvier 2010 (08-13.200)
[6] Cass. com. 3-3-2021 n° 19-10.693 F-D, Sté Compagnie foncière du Genevois c/ B.
Qu’en est-il pour les sociétés unipersonnelles ?
Bien que l’article 1832 du code civil indique que « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes (…) » il existe également des sociétés unipersonnelles : EURL, SASU.
Pour ce type de société, comment la notion d’affectio societatis est-elle appréhendée puisque la société n’est composée par définition que d’un seul associé ?
Si l’affection societatis se rapporte à la volonté, l’intention d’agir ensemble sur le projet commun de société, lorsque l’associé est seul il n’en est pas pour autant exempté.
L’associé unique doit se comporter comme un véritable associé. Il doit contribuer à la vie et à la réussite de la société et en respecter l’objet social. Il ne doit pas exister de mélange ou de confusion entre la personne physique elle-même prise en tant qu’individu, et cette même personne agissant en tant qu’associé de la société.
Quand l’affectio societatis doit il exister ?
Il semble évident que l’affection societatis doit exister au moment de la constitution de la société[7].
Cependant la Cour de cassation a jugé dans un arrêt récent (note 6 préc.) que deux futurs associés qui ne s’entendent pas sur l’objet futur des sociétés qu’ils envisagent de constituer ensemble caractérise l’absence d’affectio societatis.
La volonté commune et non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune doit donc exister aux prémices du projet.
Cette volonté doit durer aussi longtemps que la société elle-même.
[7] CA Paris 25 avril 1984, Meyer-Ettedgui c/ Coquelle
Conséquences de la perte ou de l’absence d’affectio societatis
L’affection societatis étant un élément indispensable à la constitution de la société, que se passe-t-il s’il n’a jamais existé où s’il n’existe plus ? La société doit-elle être considérée comme n’ayant jamais existé ou doit-elle être annulée ?
Reportons nous aux dispositions de l’article 1844-7 du code civil, lequel dispose que la société prend fin, notamment, par l’annulation du contrat de société ou par sa dissolution anticipée[8].
Si l’affectio societatis est un élément indispensable à la constitution de la société, à partir du moment où elle est immatriculée, l’affectio societatis perd sa qualité d’élément constitutif. En effet, l’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés est l’aboutissement de la constitution de la société.
La perte de l’affectio societatis après l’immatriculation de la société conduit donc à la dissolution anticipée de la société et non à son annulation rétroactive.
Dans ce cas, la dissolution anticipée est prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs[9]. On entend par « juste motif » l’inexécution de ses obligations par un associé ou la mésentente entre les associés qui paralysent le fonctionnement de la société.
Il ne suffit donc pas que l’affectio societatis ait disparu au cours de la vie de la société, mais il faut également que cette disparition paralyse le fonctionnement de la société. Sans paralysie, pas de dissolution.
Par exemple, lorsque les associés ne communiquent plus que par l’intermédiaire d’huissiers de justice, qu’il est impossible d’approuver des décisions en assemblée, que le différend entre les associés a été rendu public, qu’il s’ensuit une perte du chiffre d’affaires mettant en péril la société et que les employés démissionnent, alors le fonctionnement normal de la société est paralysé en raison du comportement d’un des associés et de la mésentente permanente entre tous les associés. L’affectio societatis a disparu, la société est donc dissoute judiciairement[10].
[8] Article 1844-7 du code civil: « La société prend fin:
1o Par l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation effectuée conformément à l’article 1844-6;
2o Par la réalisation ou l’extinction de son objet;
3o Par l’annulation du contrat de société;
4o Par la dissolution anticipée décidée par les associés;
5o Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société;
6o Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l’article 1844-5;
7o (L. no 88-15 du 5 janv. 1988) «Par l’effet d’un jugement ordonnant (Ord. no 2014-326 du 12 mars 2014, art. 100, en vigueur le 1er juill. 2014) «la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif»;
8o (L. no 85-98 du 25 janv. 1985, art. 218) «Pour toute autre cause prévue par les statuts.».
[9].Article 1844-7 5o du code civil
[10] Exemple pour une SCP: Civ. 1è 16 octobre 2013 (12-26.729)
Pour aller plus loin: quelques exemples pratiques
Affectio societatis et PACS
Le principe est le suivant : lorsque l’un des deux partenaires lié par un PACS décide de devenir associé d’une société, il va réaliser un apport à la société. Si la convention de PACS soumet leurs biens au régime de l’indivision, les deux partenaires seront tous deux associés de la société sauf si l’apport est réalisé avec des biens propres ou reçus avant l’enregistrement de la convention (article 515-5.2 4o et 5o nouveau du code civil).
Lorsque le régime de l’indivision s’applique et que le partenaire A décide d’apporter un bien personnel à la société sans en informer son partenaire B, le second partenaire n’a donc pas l’intention d’agir en commun sur le projet de société puisqu’il en ignore son existence même. Comment celui qui ignore tout du projet bénéficie de la qualité d’associé ?
Les éléments caractéristiques du contrat de société ne sont pas réunis, notamment l’affectio societatis. On peut donc considérer que le partenaire B resté dans l’ignorance du projet de société n’est pas associé malgré l’indivision.
Affectio societatis et démembrement de propriété des parts sociales
Rappelons que pour être associé d’une société il faut avoir réalisé un apport, participer au bénéfice et aux pertes et avoir eu la volonté de s’associer ibid. affectio societatis.
La question est donc de savoir qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire est associé d’une société ?
L’alinéa 3 de l’article 1844 du code civil dans sa version issue de la loi du 19 juillet 2019, précise que le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Les décisions qui concernent l’affectation des bénéfices sont réservées à l’usufruitier. En ce qui concerne les autres décisions, ils peuvent convenir que c’est l’usufruitier qui votera en assemblée.
Il semblerait donc que l’usufruitier ait la qualité d’associé d’une société.
Cependant, s’il est exact que l’usufruitier participe aux bénéfices et aux pertes et qu’il a eu la volonté de s’associer, c’est à dire qu’il exerce l’affectio societatis, il ne réalise aucun apport.
La doctrine est partagée et la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur la qualité d’associé donnée à l’usufruitier suite à la modification de l’article 1844 du code civil. La question reste donc ouverte.
Prête-nom
Le prête-nom est la personne qui agit pour le compte d’une autre personne qui ne veut pas apparaître dans le contrat de société pour des raisons diverses (en général dans un souci de discrétion).
Il en résulte qu’il y a deux associés : un associé apparent, le prête-nom, et un associé réel, celui qui ne veut pas apparaître.
Celui qui dispose de l’affectio societatis, c’est à dire celui qui a réellement l’envie de s’associer à un projet commun, c’est l’associé dissimulé. L’autre personne, associé apparent, n’a pas la qualité d’associé.
Société fictive
Une société est considérée comme fictive dès lors que les associés qui la composent ne remplissent pas les conditions pour être associés, et notamment lorsque l’affectio societatis est absent.
Cet élément fondamental manquant, la société est considérée comme nulle[11].
[11] Valable pour les sociétés civiles.
Affectio societatis et cession de parts sociales ou actions
- Lorsqu’un associé cède ses parts sociales ou ses actions à nouvel associé, la question est de savoir si cet associé qui entre dans la société doit disposer de l’affectio societatis ou pas.
Au vu de tout ce qui a été expliqué ci-dessus, on pourrait penser que la personne qui acquiert des titres a une vraie volonté de devenir associé et donc de participer au projet commun de société.
Cependant la Cour de cassation en a jugé autrement [12] en indiquant que « (…) l’affectio societatis n’est pas une condition requise pour la formation d’un acte emportant cession de droits sociaux ».
Cet arrêt pourrait être critiqué dans la mesure où l’objet d’une cession de droits sociaux est bien pour le cessionnaire de devenir associé de la société et donc de collaborer effectivement dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité avec les autres associés.
- Il arrive parfois qu’un associé d’une société souhaite céder ses parts sans pour autant en connaître le prix, la date ou même le nom de la personne qui va les lui acheter. Cela s’appelle une cession en blanc.
Le simple fait de signer une cession en blanc démontre l’absence d’affection societatis et peut remettre en cause l’existence même de la société.
On constate donc que l’affection societatis est un élément à part entière et indispensable au contrat de société.
Cet article ne se veut pas exhaustif sur le sujet car il y aurait encore beaucoup à dire sur la place de l’affection societatis notamment en ce qui concerne les conventions de portage ou la société créée de fait.
[12] Cass. com. 11 juin 2013 12-22.296 594 F-PB, Adjemian c/ Arnodinot ép. Chasserieau et a.