Mon employeur peut-il m’obliger à me faire vacciner ?
Être ou ne pas être un salarié modèle en acceptant ou en refusant d’être vacciné ? Telle est la question.
Mais cette question peut en cacher d’autres : un employeur peut-il contraindre un salarié à se faire vacciner ? Quels sont les vaccins obligatoires et ceux qui ne le sont pas ? Jusqu’où le pouvoir de direction de l’employeur peut-il aller concernant la question de la vaccination ?
Au-delà de ces questions, la vaccination en entreprise nous amène à nous interroger sur la liberté individuelle du salarié, son droit à la santé, son droit à la vie et son droit au respect de son intégrité physique.
Les principes directeurs de la vaccination en entreprise
La vaccination en milieu professionnel protège les personnes exposées à un risque biologique causé par l’exposition à des agents pathogènes (10% des salariés environ).
La Lettre circulaire du 26 avril 1998 relative à la pratique des vaccinations en milieu de travail par les médecins du travail qui a remplacé la lettre circulaire TE 25/74 du 14 mai 1974 est venue poser les principes généraux en matière de vaccination dans le milieu du travail.
Ces grands principes déterminent le type de vaccination pouvant relever de la compétence du médecin du travail et précisent les responsabilités en cas d’accident post-vaccinal.
Ainsi, ne relèvent de la compétence du médecin du travail que les vaccinations liées à l’exercice de la profession.
Le texte opère une distinction les vaccinations obligatoires du fait de la réglementation française, des autres catégories de vaccinations, étant entendu que ce n’est que dans le cadre des vaccinations obligatoires que la responsabilité de l’Etat peut, sous certaines conditions, être invoquée en cas d’accident post-vaccinal (Article L. 10-1 du code de la santé publique).
L’employeur assume la charge financière des vaccinations obligatoires.
Enfin, conformément au respect de l’intégrité physique de chaque individu, le salarié doit pouvoir rester libre du choix de son médecin vaccinateur, même lorsqu’il fait appel à l’intervention du médecin du travail pour se faire vacciner.
Les vaccinations obligatoires et non obligatoires en milieu professionnel
L’article L. 3111-4 du Code de la santé publique dispose qu’« une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l’exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe ».
Les personnes qui exercent une activité professionnelle dans un laboratoire de biologie médicale doivent être « immunisées contre la fièvre typhoïde ».
Il est fait obligation des vaccinations antivariolique, antityphoparatyphoïdique, antidiphtérique, et antipoliomyélitique pour toutes personnes employées dans les établissements, dont la liste a été fixée par les arrêtés des 19 janvier 1949 et 30 août 1955 et qui, du fait de leur travail, peuvent être amenées à se trouver en contact, direct ou indirect, avec des malades.
Il s’agit concrètement des établissements de vaccination publics ou prives de prévention ou de soins dans lesquels le personnel exposé doit être vacciné.
Il en est de même pour la vaccination antitétanique rendue obligatoire pour les professionnels de santé, de secours, de la petite enfance et des personnes âgées, et recommandée pour les salariés travaillant dans les égouts, au contact des eaux usées, du sol ou de la terre, et plus généralement tous les métiers exposés aux coupures.
La vaccination à l’embauche du salarié
Aux termes de l’article R. 4624-10 du Code du travail, la vaccination peut être aussi prescrite lors de l’embauche du salarié.
Certaines vaccinations telles que la vaccination grippale (qui ne relève pas prioritairement du médecin du travail mais du médecin traitant) ou qui concerne l’hépatite A ne sont pas obligatoires mais peuvent être recommandées pour certaines activités professionnelles.
Enfin, précisons que si la vaccination obligatoire a provoqué des effets indésirables voire l’apparition d’une maladie, la prise en charge au titre de la Législation des accidents du travail est admise, dès lors qu’un lien entre l’exposition professionnelle et la pathologie déclarée sera avérée.
A titre d’exemple, le tétanos donne lieu à une prise en charge au titre de la maladie professionnelle mentionnée au tableau nº 7 des maladies professionnelles.
Les obligations de l’employeur et du Médecin du travail
La mise en œuvre de la vaccination sur le lieu de travail est assurée par l’employeur, responsable de l’évaluation des risques et des mesures de prévention, conformément à l’article R. 4426-6 du Code du travail.
Le Médecin du travail doit donner une information claire et précise à l’employeur, aux salariés, au CHSCT ou aux délégués du personnel, sur les avantages et les risques de chaque vaccination.
Par ailleurs, il doit signaler et inclure la pratique vaccinale dans son contrat d’assurance en responsabilité civile professionnelle.
Quant au salarié, ce dernier doit fournir son consentement exprès à se faire vacciner par le Médecin du travail mais peut choisir librement un autre médecin.
En cas de déplacements professionnels à l’étranger, le médecin du travail apporte l’information sur les risques encourus et des recommandations sur les vaccinations préconisées ou exigées.
La sanction du refus du salarié de se faire vacciner
Dès lors que les vaccinations n’entrent pas dans la catégorie de celle qui sont obligatoires, elles ne peuvent avoir lieu sans le consentement des salariés intéressés. Aussi, sauf dans l’hypothèse où un risque serait particulièrement grave, le refus de vaccination ne peut justifier un licenciement ou une sanction disciplinaire.
En revanche, dès lors que le médecin du travail prescrit une vaccination obligatoire et que le salarié ne présente aucune contre-indication médicale, ce dernier n’a pas la possibilité de refuser cette vaccination (Cass. soc., 11 juill. 2012, no 10-27.888), sauf à être sanctionné notamment par un licenciement comme ce fut le cas dans l’arrêt précité.
Au final, seul un avis médical de contre-indication à la vaccination, réclamé par l’employeur au salarié à plusieurs reprises, peut permettre à ce dernier d’admettre l’absence de vaccination.
Refus légitime et refus « fautif » à la vaccination
La Cour de cassation dans l’arrêt rapporté opère donc un distinguo entre le refus légitime et le refus « fautif » du salarié en présence ou non d’une contre-indication médicale prévue par le dernier alinéa de l’article L. 3111-4 précité du Code de la santé publique, en vertu duquel « les conditions de l’immunisation prévue au présent article sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de la Haute Autorité de santé et compte tenu, en particulier, des contre-indications médicales ».
En d’autres termes, la contre-indication médicale constitue un fait justificatif du refus du salarié.
Le médecin du travail apprécie, à cet effet, le caractère temporaire ou non de la contre-indication et détermine s’il y a lieu de proposer un changement d’affectation pour les personnes concernées.
On comprend alors qu’un reclassement pourrait être envisagé sur un poste où le salarié ne serait pas en contact avec des personnes à risques comme des malades.
La nécessité d’une contre-indication médicale met en évidence la rigueur de l’obligation vaccinale pour certaines activités professionnelle qui procède in fine de l’obligation de sécurité de résultat et de prévention des risques professionnels pesant sur l’employeur.
Mais cette rigueur ne vient-elle pas s’opposer et créer un antagonisme entre l’obligation vaccinale au nom de l’intérêt collectif et de la santé publique et le droit individuel et fondamental pour toute personne de revendiquer le respect du corps humain, de son intégrité physique et de sa santé (s’il craint l’apparition ultérieure d’une maladie suite aux controverses déjà observées par le passé, notamment celle liée au vaccin contre l’hépatite B) ?
Le principe de précaution
Qu’en est-il alors lorsque le refus de se faire vacciner ne provient pas d’une contre-indication médicale mais d’une crainte eu égard aux potentiels effets secondaires ?
En effet, si aux termes de l’article L.111-4 alinéa 3 du Code de la santé publique « le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité », la question devient épineuse lorsque ce dernier ne peut anticiper les effets indésirables d’un vaccin et que le patient refuse de se faire vacciner au nom du principe de précaution.
Le patient a-t-il réellement le droit de refuser une vaccination en invoquant l’article L.111-4 alinéa 4 du Code de la santé publique qui dispose que « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment » ?
Au vu de la jurisprudence actuelle, il semblerait que ce droit soit refusé au salarié sans que l’on ne puisse également dénier le fait que l’employeur reste débiteur d’une obligation de sécurité de résultat.
L’article L. 1121-1 du Code du travail suivant lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » pourra alors justifier l’obligation vaccinale du salarié et l’atteinte proportionnée à ses droits fondamentaux.
Le licenciement deviendra alors justifié.
Cependant, face aux enjeux liés à la liberté individuelle, au droit fondamental à la vie, et au droit au respect de l’intégrité du corps humain, l’employeur devra prendre toutes les précautions nécessaires pour que le licenciement pour faute ne soit pas requalifié par les Juridictions prud’homales en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
D’un point de vue stratégique, il serait peut-être intéressant d’opter pour un licenciement pour inaptitude avec tentative de reclassement avant de s’orienter directement sur un licenciement disciplinaire.
La vaccination en entreprise et la COVID-19
La vaccination contre la COVID-19 ne saurait conditionner l’accès à un poste ou la rupture du contrat de travail.
En effet, le Code du travail n’envisage la question du vaccin que dans le chapitre consacré aux salariés exposés à des risques biologiques.
Pour ceux-ci, l’article R. 4426-6 du Code du travail dispose que « sans préjudice des vaccinations prévues aux articles L. 3111-4 ; et L. 3112-1 du code de la santé publique, l’employeur recommande, s’il y a lieu et sur proposition du médecin du travail, aux travailleurs non immunisés contre les agents biologiques pathogènes auxquels ils sont ou peuvent être exposés de réaliser, à sa charge, les vaccinations appropriées. »
La vaccination contre le virus lié à la COVID-19 ne fait pas partie des vaccinations obligatoires qui demeure donc pour le moment facultative.
Secteur professionel et obligation de vaccin
Les employeurs ont-ils le droit de l’imposer à leurs salariés eu égard en fonction du secteur professionnel concerné ?
Il a été prévu que les Médecins du travail pouvaient proposer la vaccination mais que celle-ci pouvait être refusée, sous réserve d’obligations dans l’avenir pour certaines professions en contact avec des maladies ou des personnes vulnérables.
Aussi, si la vaccination est actuellement facultative, il est légitime de se poser la question de savoir si elle ne va pas bientôt faire partie des vaccins obligatoires pour certaines catégories professionnelles compte tenu de l’aggravation de la pandémie et des variants du virus.
- Le refus d’un salarié pourrait-il justifier un licenciement alors que les craintes sont fondées compte tenu de la rapidité avec laquelle les vaccins ont été conçus ?
- La même rigueur que celle applicable aux vaccins prévus au Code de la santé publique sera-t-elle appliquée à la vaccination contre la COVID-19 ?
- Qu’en sera-t-il des salariés amenés à voyager dans le cadre de leur activité professionnelle ?
L’obligation de détention d’un passeport vaccinal et l’impératif lié à l’obligation de prévention des risques (risque de contagion au cours des déplacements et de contagion ultérieure des autres salariés) ne constitueront-ils pas une amorce à la vaccination obligatoire contre la COVID-19 ?
Ce seront au final l’encadrement éventuel par l’OMS de la vaccination contre la COVID-19 ainsi que les contraintes professionnelles qui rendront la vaccination obligatoire faisant de nouveau resurgir la question de l’équilibre si fragile devant s’établir entre les libertés fondamentales du salarié et le lien de subordination qui le contraindra à accepter la vaccination.