Peut-on se faire licencier après la publication d’un post Facebook ?
Après « Facebook, un ami qui ne vous veut pas forcément du bien [1] », le nouveau message de la Cour de cassation en date du 30 septembre 2020 serait plutôt, « Méfiez-vous de vos amis… et surtout de vos amis Facebook ! ».
Une salariée l’a malheureusement appris à ses dépens et ce, malgré une publication privée et strictement réservée à ses seuls « amis » Facebook.
Les faits de l’espèce étaient les suivants : en 2014, une salariée de la société Petit Bateau avait publié sur son « mur » Facebook une photo de la future collection printemps-été 2015, permettant à ses amis, seuls autorisés, de voir les contenus publiés sur son compte. Toutefois, dans le lot des happy few se trouvaient des professionnels de la mode mais aussi l’une de ses collègues. Cette dernière informa la direction de cette publication et en adressa même une copie !
La société lui reprocha ainsi un manquement à son obligation de confidentialité et la salariée fut immédiatement licenciée pour faute grave. Déboutée par la Cour d’appel de Paris le 12 décembre 2018 qui valide son licenciement, la salariée s’est pourvue en cassation.
Droit à la preuve et vie privée sur Facebook
Rappelons que dans une décision en date du 20 décembre 2017, la Haute juridiction avait jugé que « dès lors que les informations fournies sur le compte Facebook d’une salariée ne sont réservées qu’à ses « amis Facebook », l’employeur ne peut pas y accéder via le compte d’un autre salarié « ami Facebook » en vue de fournir ces éléments comme preuve dans le cadre d’un procès. Ce procédé constitue une atteinte à la vie privée[2] ».
Aussi, dans un arrêt en date du 12 septembre 2018[3], la chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé que « Ne sont pas constitutifs d’une faute grave les propos injurieux diffusés par un salarié sur un compte de réseau social « Facebook » accessibles aux seules personnes agréées par lui et composant un groupe fermé de quatorze personnes, de tels propos relevant d’une conversation de nature privée ».
La Cour de cassation devait a priori appliquer cette solution dans son arrêt du 30 septembre 2020[4] et considérer qu’il y avait atteinte à la vie privée ou bien que la preuve fût déloyale.
Or, elle a rejeté le pourvoi formé par la salariée et jugé que le licenciement de la salariée était bel et bien justifié au regard du droit de la preuve. En effet, l’employeur pouvait utiliser des éléments extraits du compte Facebook privé d’un salarié pour justifier son licenciement pour faute grave, dès lors qu’il n’a usé d’aucun stratagème pour les obtenir.
Précisément, la Cour d’appel avait relevé que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel d’une autre salariée, autorisée à accéder comme « amie » au compte privé Facebook de la requérante, de sorte que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.
Par ailleurs, la Cour de cassation énonce qu’il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 du Code civil et de l’article 9 du Code de procédure civile, que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
Une atteinte à la vie privée justifiée
La production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode, destinataires de cette publication, constituaient certes des atteintes à la vie privée.
Néanmoins, les juges du fond ont constaté que, pour établir un grief de divulgation d’une information confidentielle aux professionnels de la mode (pouvant être des entreprises concurrentes), l’employeur s’était borné à produire la photographie litigieuse publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité. Par ailleurs, le constat d’huissier auquel l’employeur a eu recours n’avait que pour finalité d’anticiper une contestation par la salariée de l’identité du titulaire du compte Facebook.
En l’état de ces constatations, la Cour de cassation s’est ralliée à la position de la Cour d’appel qui a considéré que la production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était (i) indispensable à l’exercice du droit à la preuve et (ii) proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.
Que retenir de cet arrêt ? Qu’on devrait bien choisir ses amis Facebook… S’abstenir d’inviter ses collègues ? Que la décision est particulièrement sévère pour la salariée et qu’une certaine latitude est donnée à l’employeur, l’autorisant même à licencier pour des faits relevant de la vie privée ?
A mon sens, cet arrêt n’apporte rien de nouveau, la preuve devant toujours être loyale et la Haute juridiction rappelle utilement que l’atteinte à la vie privée est permise si et seulement si, elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi !
[1] Cour d’appel de Besançon, 15 novembre 2011, n°11/674.
[2] Cour de cassation, chambre sociale, 20 décembre 2017, n°16-19.609.
[3] Cour de cassation, chambre sociale, 12 septembre 2018, n°16-11.690.
[4] Cour de cassation, chambre sociale, 30 septembre 2020, n°19-12.058.