Administration fiscale : la procédure dite de « l’abus de droit »
Dans son rôle de contrôle des bases d’imposition déclarées par les contribuables, l’administration fiscale dispose d’un arsenal de procédures de rectification des déclarations fiscales. Parmi celles-ci figure la nouvelle procédure de répression de l’abus de droit, votée dans le cadre de la loi de finances pour 2019 (art.109) et codifiée sous l’article du Livre des Procédures Fiscales (LPF).
L’abus de droit fiscal avant l’entrée en vigueur du nouveau texte
L’abus de droit -en matière fiscale- consiste pour un contribuable à bénéficier d’une disposition fiscale avantageuse, soit en « maquillant » une opération juridique (simulation) soit en réalisant un montage juridique dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal qu’il n’aurait pu obtenir autrement exclusivement fiscal constituant une fraude à la loi). Ces actes sont susceptibles d’être écartés par l’administration par application des dispositions de l’article L 64 LPF.
Deux exemples :
1/Dans le but d’éviter des droits de donation de 60% entre personnes non alliées, une vente d’immeuble est réalisée moyennant le versement d’un capital et d’une rente viagère. Il s’agit ici d’une simulation de vente.
L’administration constatant l’absence de versement du capital et de la rente viagère re-qualifie l’opération de vente en donation. Elle fait supporter ainsi à l’ex-vendeur, devenu donataire, les droits de donation de 60%, augmentés d’une majoration des droits dus (de 40 à 80%), outre les intérêts de retard.
2/ Les intérêts d’emprunt contracté pour l’acquisition de la résidence principale et les charges immobilières y afférents ne sont pas déductibles des revenus. Une personne achète, apporte ou vend à une SCI qu’elle contrôle sa résidence principale et établit un bail de location avec cette dernière dans le but de contourner cette règle fiscale et ainsi pouvoir déduire de ses revenus le déficit foncier résultant de la location. Il s’agit ici de fraude à la loi susceptible d’être qualifié d’abus de droit, le seul but du montage étant d’obtenir exclusivement un avantage fiscal.
L’extension de l’abus de droit aux actes ayant un motif « principalement » fiscal (Art. L64A LPF)
recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
L’administration a rendu publique sa doctrine dans un bulletin officiel des impôts du 31 janvier 2020.
Les textes visés par le dispositif s’entendent notamment des lois et règlements français mais encore des conventions internationales.
La doctrine administrative elle-même est qualifiée de décision, chaque fois qu’elle comporte une interprétation qui ajoute à la norme (loi, décret, etc.) dans un sens favorable au contribuable.
Ainsi, sont notamment visées encore les réponses ministérielles à des questions écrites de parlementaires ou des réponses à des représentants d’organisations professionnelles.
L’administration rappelle que l’ensemble des actes sont concernés, écrits ou non, unilatéraux, bilatéraux ou multilatéraux.
Il résulte notamment de cette doctrine que cette procédure ne sera mise en œuvre que pour les actes ou montages dépourvus de substance économique.
Enfin, l’administration précise que cette nouvelle disposition n’a pas pour objet d’interdire au contribuable le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité.
Entrée en vigueur
Cette nouvelle mesure s’applique aux procédures de rectification engagées à compter du 1er janvier 2021 portant sur les seuls actes réalisés depuis le 1er janvier 2020. L’administration ne pourra donc mettre en cause les actes passés antérieurement à cette date sur la base de l’article L64A.
Quelles sont les sanctions encourues ?
Pour appliquer les majorations de droit commun (40 à 80%), l’administration devra les motiver en constatant que les rectifications procèdent d’un manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses du contribuable.
Le comité de l’abus de droit fiscal
Le comité de l’abus de droit n’est pas de création récente, puisqu’il intervient dans les affaires relevant de l’article L64 LPF.
Ce comité peut être saisi, à l’issue de la procédure de contrôle, par le contribuable ou l’administration.
Il comprend un conseiller d’État (président) un conseiller à la cour de cassation ; un avocat ayant une compétence en droit fiscal ; un conseiller maître à la Cour des comptes ; un notaire ; un expert-comptable et un professeur des universités, agrégé de droit ou de sciences économiques.
Les membres du comité sont nommés par le ministre chargé du budget sur proposition du Conseil national des barreaux s’agissant de l’avocat, du Conseil supérieur du notariat s’agissant du notaire et du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables s’agissant de l’expert-comptable.
Les membres et les personnels du comité de l’abus de droit fiscal sont tenus au respect des règles de secret professionnel définies à l’article L.103 du LPF.
Effets des avis du comité : en droit, quel que soit le sens de l’avis du comité, la charge de la preuve incombe à l’administration. En pratique, les dossiers soumis au comité font le plus souvent l’objet d’un avis favorable à l’administration.
Quelles sont les garanties applicables ?
A titre préventif – le rescrit « abus de droit »
Lorsque le contribuable l’a préalablement consultée par écrit (procédure dite du rescrit) l’administration fiscale ne peut ensuite pas recourir à la procédure du mini-abus de droit, soit qu’elle ait répondu favorablement au contribuable, soit qu’elle se soit abstenue répondre dans un délai de six mois.
Par conséquent, l’administration est liée par sa réponse (le rescrit).
Toutefois, le rescrit ne vaudra qu’en comparaison de la qualité de la question posée et de sa conformité avec la situation de fait et de droit réelle ultérieurement constatée par l’administration.
Ainsi la demande de rescrit doit être précise et complète et le contribuable doit effectuer cette démarche de bonne foi en n’omettant aucun élément.
Les enjeux pour le contribuable justifient l’intervention d’un avocat spécialisé en droit fiscal.
En effet, celui-ci pourra apprécier l’opportunité d’engager une demande de rescrit et de rédiger celle-ci avec précision.
La question prioritaire de constitutionnalité – Arme fatale ?
Le texte du mini-abus de droit n’a fait l’objet d’aucun recours par les députés ni les sénateurs ayant saisi le Conseil Constitutionnel.
Par conséquent, ce texte n’est donc pas passé au « tamis » de notre Cour Suprême avant la promulgation de la loi de finances et sa constitutionnalité fait débat.
Toutefois, un contribuable dont les déclarations seront rectifiées dans le cadre de la procédure de mini-abus de droit pourra en contester la constitutionnalité en posant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), à l’occasion d’un contentieux fiscal.
Parlons-en !