Peut-on licencier pour faute grave un salarié portant une barbe jugée « à connotation religieuse » ?
Si le port du voile avait donné lieu à une saga judiciaire, c’est désormais sur le port de la barbe que la Cour de cassation a été interrogée (Soc, 8 juill. 2020, n°18-23.743).
En l’espèce, l’employeur avait licencié pour faute grave un de ses salariés, considérant « la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse ».
Soutenant avoir été licencié pour un motif discriminatoire, le salarié a saisi les juridictions afin d’obtenir la nullité de son licenciement. L’employeur affirmait quant à lui que « l’injonction de revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation » était justifiée par les fonctions du salarié.
Toutefois, la Cour de cassation n’a pas validé le raisonnement de l’employeur et a confirmé la décision des juges du fond qui ordonnait la réintégration du salarié et condamnait l’employeur à payer 146.400 € d’indemnités au salarié.
Dans son arrêt du 8 juillet 2020, la Haute Juridiction rappelle la « méthodologie » à appliquer pour appréhender le fait religieux en entreprise…
Restreindre les droits et libertés des salariés ? Oui, mais à certaines conditions !
La Cour suprême rappelle dans un premier temps qu’il est possible d’apporter des restrictions aux droits et libertés les plus fondamentaux des salariés, sur le fondement des articles 1121-1, L. 1132-1 et L. 1133-1 du Code du travail, sous réserve de respecter certaines conditions…
En effet, les restrictions apportées doivent :
- être justifiées par la nature de la tâche à accomplir ;
- être proportionnées au but recherché ;
- répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.
Toute la question est donc de savoir ce que recouvrent ces notions…
Le souhait d’un client permet-il à l’employeur d’interdire le port d’un signe religieux ?
Dans un arrêt de 2017, la Cour de cassation avait été interrogée sur le point de savoir si la demande d’un client, souhaitant ne plus se voir affecter une salariée portant un foulard islamique, permettait à l’employeur de licencier cette salariée dès lors qu’elle refusait d’ôter son foulard.
La Haute juridiction avait alors répondu par la négative, précisant que le souhait du client ne pouvait être considéré comme une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » (Soc. 22 nov. 2017, n°13-19.855).
Cette position est confirmée dans l’arrêt du 8 juillet 2020, dans lequel la Cour rappelle que « les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante ».
Il est précisé que si cette notion « d’exigence professionnelle essentielle et déterminante » ne peut s’appliquer à des « considérations subjectives », elle peut en revanche concerner une exigence objective « dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause ».
L’impératif de sécurité et le danger objectif permettent-ils d’empêcher le port de signes religieux ?
Dans l’affaire du 8 juillet 2020, l’employeur faisait notamment valoir que le salarié exerçait les fonctions de consultant sûreté et qu’à ce titre, il assurait des prestations de service dans le domaine de la sécurité et de la défense auprès des gouvernements, organisations internationales ou encore entreprises privées.
Or, comme ce salarié souhaitait de préférence être affecté à des pays de culture arabo-musulmane, l’employeur considérait qu’il ne pouvait porter une barbe à connotation religieuse, sans remettre en cause sa sécurité et celles des personnes auprès desquelles il était affecté. L’employeur produisait d’ailleurs un témoignage, d’un autre consultant de la société, lequel affirmait que les militaires avec lesquels ils travaillaient était « inquiets et sur leurs gardes » en voyant la barbe de ce salarié.
Les juges du fond comme la Cour suprême reconnaissent que l’objectif de sécurité aurait pu permettre à l’employeur de sanctionner le salarié pour sa barbe « connotée ».
Néanmoins, en l’espèce, les juges ont relevé l’absence de preuve concernant cet impératif de sécurité et ont considéré que l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité liés au port de la barbe, ni n’indiquait de quelle façon le salarié aurait dû tailler sa barbe pour qu’elle soit « admissible ».
A contrario, si la barbe empêche par exemple de porter les équipements de protection individuels, exposant ainsi le salarié à un risque d’accident du travail, l’employeur pourrait se prévaloir de cet impératif pour exiger du salarié qu’il se rase, sans que cela ne soit discriminatoire.
7/ La frontière avec les infractions de trafic de stupéfiants est extrêmement mince et dépendra finalement des circonstances et des quantités. Le simple consommateur devra en tout cas tenter de démontrer de bonne foi que c’est un usage personnel pour éviter le risque d’être assimilé à un trafiquant.
Sécuriser ce type de licenciement par la voie du règlement intérieur…
Il ressort des différentes décisions rendues sur le port de signes religieux en entreprise, que les juges ont généralement validé le licenciement lorsque l’employeur se fondait sur une clause de neutralité pour sanctionner le port de signes religieux.
La clause de neutralité est celle par laquelle l’employeur interdit au salarié le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail.
La Cour de cassation rappelle dans son arrêt du 8 juillet 2020 que, lorsqu’il existe une telle clause dans le règlement intérieur, le juge ne doit plus veiller qu’au respect de deux conditions :
- que la restriction soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir,
- et proportionnée à l’objectif recherché.
Mais attention, lorsqu’on insère une telle clause dans le règlement intérieur, il faut être particulièrement vigilant sur sa rédaction :
- elle doit être générale et indifférenciée, autrement dit elle ne doit pas désavantager les personnes adhérentes à une religion en particulier ou à certaines convictions,
- elle ne doit concerner que les salariés en contact avec les clients.
Enfin, il convient de préciser que la clause de neutralité ne fait pas disparaitre l’aléa judiciaire et que l’employeur ne peut pas se retrancher derrière cette clause pour se prémunir contre toute sanction discriminatoire.
En conclusion, le fait religieux en entreprise doit être traité avec beaucoup de précaution afin de ne pas donner lieu à des décisions discriminatoires.
S’il est conseillé de formuler une interdiction générale dans le règlement intérieur, afin de disposer d’une disposition écrite lorsque l’on entend sanctionner, il n’est toutefois pas impossible de sanctionner l’expression individuelle des convictions religieuses, à condition de pouvoir démontrer l’existence d’un motif légitime de sanction.